Le système de compétition économique dans lequel nous vivons engendre comme dommage collatéral le ralentissement des progrès scientifiques et technologiques. En effet, notre système pousse les industriels à garder leurs secrets quand ils permettent de dépasser la concurrence car cela génère un avantage compétitif et donc économique. Cela empêche des milliers d’ingénieurs et chercheurs de travailler sur certains produits et de les améliorer, puisqu’il ne sont disponibles que pour certaines équipes.
Personne n’invente jamais rien de zéro
Le fait d’octroyer une invention comme propriété exclusive d’une personne est totalement contraire à la réalité du processus inventif au sens scientifique et historique. En effet, personne n’invente jamais rien totalement. On ajoute toujours une nouvelle idée simple à un ensemble plus complexe découvert par de nombreux scientifiques auparavant. Pourtant d’après la loi des brevets on possède l’entièreté des droits sur l’invention. Par exemple, si vous inventez un nouveau logiciel informatique, vous bénéficiez du travail de milliers de scientifiques qui ont créé les bases vous ayant permis de rajouter une pierre de plus au grand édifice déjà construit. Il a fallu auparavant inventer l’électricité, des outils mathématiques comme le système binaire, les règles algébriques, mais aussi les circuits électroniques, leur miniaturisation, l’écran, les couleurs, la souris, les logiciels nécessaires à la création du nouveau pour ne pas repartir de zéro à la conception, etc.
Lorsque le train à lévitation magnétique a été inventé, il a fallu auparavant inventer la roue, découvrir les aimants, l’électricité, les rails et le moteur, réviser le système de frottements etc.
Aucune personne dans le monde ne pourrait inventer tout cela d’un coup, et nos progrès technologiques sont toujours le fruit d’ajouts successifs sur le travail des autres inventeurs. On peut le voir dans tous les domaines de l’histoire des sciences.
Bien sûr, le dernier maillon de la chaîne a lui aussi fait preuve de mérite en ajoutant un maillon supplémentaire à la chaîne. Mais il a aussi bénéficié de toute l’infrastructure sociale lui permettant d’atteindre son potentiel de découverte. Il a pu étudier à l’université publique payée par les impôts de ses concitoyens, bénéficier des enseignements en mathématiques et en physique de scientifiques déjà morts, du système de transport pour se rendre à celle-ci etc. S’il était né seul sur une île déserte, il n’aurait jamais pu aboutir à cette découverte car la société ne lui aurait pas fourni la capacité de bénéficier de son plein potentiel de découverte. Alors comment récompenser cette personne pour l’effort supplémentaire pour améliorer une idée ou une invention? Dans une système capitaliste il n’y a pas vraiment de réponse blanche ou noire à cette question, car il est impossible de quantifier le pourcentage de nouveauté, mais cela restera incommensurablement négligeable par rapport à l’ensemble de la contribution de la société au cours de l’histoire. Un raisonnement pragmatique serait le suivant : celui de passer à une société collaborative de l’open source où chacun bénéficie des progrès fait par les autres en abolissant totalement la propriété intellectuelle. En cela l’union des forces permettra l’avancée des découvertes et des progrès dans tous les domaines qui bénéficieront à tout un chacun de manière bien supérieure qu’en gardant pour soi son petit avantage.
Dans une Economie Basée sur les Ressources (si vous ne savez pas ce que c'est cherchez pour comprendre) la question ne se poserait pas, car il n’y a pas besoin de récompense financière pour stimuler le processus de découverte scientifique et d’invention. En effet, l’homme fait de la science par passion. Des grands génies comme Einstein, Tesla ou Turing ne faisaient pas de la science pour l’argent mais bien parce qu’ils étaient passionnés par la découverte et la création de nouvelles solutions techniques. Une étude de l’Université de Chicago et de l’Université Carnegie Mellon financée par la FED a déjà prouvé que le processus de création humain était bien plus performant lorsqu’il était décorrélé de l’incitation monétaire.
Aujourd’hui les équipes techniques sont bien plus occupées à créer un produit différent de la concurrence et non compatible avec les autres appareils pour garder un avantage compétitif. Par exemple, les ingénieurs d’Apple vont faire en sorte que leurs chargeurs, leurs écouteurs, leurs logiciels ne puissent pas s’adapter avec ceux des concurrents comme Samsung ou Huawei, ce qui crée de nombreux problèmes lors d’un changement de matériel, ce qui fait travailler de nombreuses équipes plusieurs fois de manière inutile, alors que cela serait bien plus profitable de réunir tous ces cerveaux. Imaginez toutes ces équipes d’ingénieurs regroupant toutes leurs compétences pour créer le meilleur téléphone possible, avec tous les brevets, des compétences encore plus fortes et sans obsolescence programmée. Il serait sans doute bien meilleur que tous les téléphones actuels.
Aujourd’hui les produits et logiciels open source sont de la même qualité, voire meilleurs que leurs contreparties propriétaires. On pourra citer Open Office, VLC Media Player, Linux, Mozilla, Gimp, Shotcut, Brave, Audacity...
Ellon Musk a par exemple laissé tous les brevets des voitures Tesla open source, et tout le monde peut les consulter et les améliorer.
Pourtant, dans le système actuel, une entreprise va interdire d’améliorer un de ses produits ou une technologie qui s’inspire de la sienne, alors qu’il n’a fait que la même chose en s’inspirant lui même de toutes les découvertes passées. On est au summum de l’hypocrisie. Cela bloque la concurrence en l’interdisant de travailler sur certaines technologies.
Il y a aussi une incitation à ne pas résoudre les problèmes quand cela ramène de l’argent. L’industrie du plastique n’aurait pas exemple aucun intérêt à laisser émerger un plastique biodégradable à base de chanvre car cela lui ferait perdre d’énormes profits. Un autre exemple est celui de Mr Le Floc’h, un inventeur morbihannais qui a inventé un bateau qui fonctionne seulement avec l’énergie des vagues. Son invention a d’abord été rejetée par les lobbys, puis seulement acceptée lorsqu’il l’a substitué avec un moteur qui fonctionne pour moitié à l’essence.
L’industrie pharmaceutique n’a aucun intérêt à guérir une maladie lorsque celle-ci génère des milliards d’euros. Si plus personne n’était malade elle ne gagnerait plus rien.
On peut rajouter d’autres éléments qui freinent l’innovation, comme le temps d’obtention d’un brevet qui prend parfois plusieurs années. Par exemple en France on attend en moyenne 2 ans et demi. Aux Etats-Unis c’est 3 ans et demi et 10 ans au Brésil.
Le brevet est aussi devenu un actif. Même si certaines personne ne sont pas capables de maximiser le potentiel de leurs inventions, il peuvent toujours gagner une belle somme d’argent en le revendant à un potentiel acquéreur. Ce qui veut dire aussi que certaines personnes qui n’ont jamais rien inventé de leur vie, comme par exemple un groupe d’avocats, peuvent récupérer des brevets pour les revendre au prix fort.
Une société de la collaboration sera toujours bien plus forte qu’une société de l’égoïsme.
Texte opensource publié ici avec l'aimable autorisation de Pierre-Alexandre Ponant
4 réactions
1 De Jacques Pyrat - 12/07/2020, 09:49
Autre aspect naze : seules les invention réussies sont rendues publiques avec les brevets.
Les échecs ne le sont pas et peuvent donc être explorés par plusieurs entreprises en pure perte.
Je tiens cette information de mon beau père qui était chercheur chez Total, et dont des recherches infructueuses sur des molécules ont terminées au placard, sans aucune publication.
2 De DocteurFox - 12/07/2020, 19:09
Un des arguments ne tient pas: le rapport entre les brevets et le secret. En effet, les brevets permettent de révéler une invention et de s’en attribuer un certain bénéfice. En l’absence de système de brevet, c’est le secret absolu qui prévaudra, comme le seul moyen de garder la main. Avec le système des brevets qui sont, eux, publiés, on peut découvrir l’avancée des connaissances industrielles dans un domaine. Sans les brevets, le secret industriel sera beaucoup plus important. Tres pénalisant pour les chercheurs industriels, j’en sais quelque chose. Au contraire, une fois un brevet publié, il y a certes une exclusivité qui est accordée, mais elle n’est pas absolue car il y a moyen d’attribuer des licences d’exploitation ; il y a surtout pour les compétiteurs le moyen de contourner le brevet, par exemple dans le cas du médicament en développant une molécule meilleure, qui de ce fait sort des limites du brevet. C’est un moteur d’innovation.
3 De DocteurFox - 12/07/2020, 19:14
A propos de la remarque 1 concernant la non publication des recherches infructueuses. Cette non publication est principalement liée à des contraintes sans rapport avec les brevets : le coût d’une publication, la perte de notoriété à publier des recherches infructueuses (les investisseurs se détournent d’une entreprise qui admet être infructueuse, capitalisme ou pas).
Il y a certes un lien plus indirect avec les brevets: toute publication peut servir d’ “art antérieur” qui invalide un brevet. Dire “X ne marche pas”, c’est courir le risque de voir invalidées des recherches ultérieures sur X, en termes de validité de brevet.
4 De DocteurFox - 12/07/2020, 19:27
Je reviens sur l’affirmation Tres gratuite : “ L’industrie pharmaceutique n’a aucun intérêt à guérir une maladie lorsque celle-ci génère des milliards d’euros. Si plus personne n’était malade elle ne gagnerait plus rien.”
C’est une légende urbaine qui est reliée au fait que certains médicaments ne traitent que “les symptômes”. C’est généralement le cas quand on ne sait pas traiter les causes profondes de la maladie. Mais ce n’est pas par intérêt financier: en réalité, un traitement curatif sera toujours plus rentable , car les autorités de santé, les mutuelles etc paieront plus cher un médicament curatif.
Prenons l’exemple de l’hépatite C, une maladie chronique. Pendant longtemps aucun traitement curatif n’existait: tous les traitements (interferon etc) ne faisaient que ralentir la pathologie, éviter ses effets les plus néfastes. Et puis un traitement a été découvert, qui fait couler beaucoup d’encre parce qu’il est remboursé très très cher. Son prix est relatif au fait qu’il soit curatif: sa valeur est liée au service médical rendu qui est la guérison. Dans cet exemple, on voit qu’il est très rentable de trouver un traitement curatif pour une maladie incurable, la société peut le reconnaître si la démonstration en est faite (ce qui coûte cher, par ailleurs).